Le modèle du sport de haut niveau doit-il s’imposer comme modèle pour l’école ?

Dans une confusion qui lui est désormais familière entre les pratiques physiques à l’école et le sport de haut-niveau, le ministre de l’Éducation nationale, dans un entretien donné au magasine "20 minutes", s’exprime sur son projet « confiance et sport ».

Le modèle du sport de haut niveau doit-il s’imposer comme modèle pour l’école ?Un projet qui prétend relier le monde des champions et le monde scolaire…

Selon Jean-Michel Blanquer, « Il y a deux sujets : Celui des champions et celui de l’ensemble des élèves.  Ils sont vertueusement liés car ils nous aident à faire progresser la culture sportive à l’école, au profit de tous » (…) « Car la première victoire c’est d’améliorer ses performances personnelles. C’est d’ailleurs la culture des profs d’EPS. Tout le monde s’engage et chacun essaie de se dépasser « .

 

Des enjeux et des valeurs qui pourtant diffèrent…

Pour le Sgen-CFDT, il faut distinguer :

  • les enjeux du monde du sport de haut-niveau

Sont visés la performance, le gain, la dépassement, les records. En corollaire de ces visées et de leur médiatisation, apparaît très fréquemment une volonté exacerbée de domination, une recherche d’amélioration, de dépassement de son corps, qui peut aller jusqu’à le transformer, en objet financier et/ou en machine à « performer ». Et tout cela au risque de détruire à plus ou moins court terme des individus. « Je veux que tous les enfants réussissent et aient envie de gagner » dit notre ministre. Rappelons simplement que qui dit gagnant, dit perdant… et les gagnants d’aujourd’hui, seront les perdants de demain…

Le monde sportif est loin des idéaux de socialisation et de santé que l’on met souvent en avant

Pour les jeunes qui se lanceraient dans ces objectifs sportifs, il est effectivement nécessaire de penser leur formation, leur accompagnement face à ces dérives constitutives de cette recherche sans fin de dépassement. C’est important, mais cela n’est pas du ressort de l’école.

 

  • et, les enjeux de l’éducation physique et sportive, et de l’AS

Est visé l’accueil de chaque élève, là où il en est dans son développement physique, cognitif, social, émotionnel… Là où il en est dans sa relation à son corps et à l’autre, pour l’aider, pas à pas à grandir dans une recherche d’harmonie (à lui même, aux autre, à son milieu). L’expérience corporelle vécue en EPS est pratiquée en groupe, avec des camarades non choisis, pas forcément volontaires, dans des milieux variés. L’élève évolue dans un cadre éducatif sécurisant, mais qui confronte, à la différence, à la nouveauté, à l’autre que soi.

L’EPS permet cette rencontre en la dénuant d’enjeux de sélection, des risques d’élimination etc. comme des risques de déséquilibres sanitaires.

L’élève peut explorer des pratiques corporelles variées, des relations à l’autre multiples, faire du lien entre différentes connaissances de son parcours scolaire… L’élève peut essayer, se tromper, recommencer… Il peut apprendre… Il évolue dans le respect de ce qu’il est. On ne tire pas sur les branches… on arrose doucement et en équipe pluridisciplinaire, le terreau sur un temps long et éducatif. Des pratiques et moments de vie qui ouvrent la possibilité, à terme, pour l’élève, de prolonger l’activité physique de son choix, et de prendre soin de son corps comme de celui des autres. C’est cela qui, selon nous, constitue la culture des enseignant·es d’EPS.

 

Les objectifs des dirigeants de « Paris 2024 » doivent-ils s’imposer à l’École ?

Face à ces constats, il ne s’agit certes pas de s’opposer à une forme de pratique ou à l’autre. Mais pour le Sgen-CFDT, on ne peut prétendre les relier, en voulant calquer les valeurs du premier au second. (ou vice versa).

C’est pourtant bien ce qui tend à s’exprimer actuellement :

« C’était le souhait le plus cher des dirigeants de Paris 2024, avant même d’obtenir l’organisation des Jeux olympiques. Que le sport et tout ce qu’il véhicule, des bienfaits pour la santé à une meilleure capacité de concentration, de la notion de collectif au dépassement de soi, infuse davantage dans la société. Le valoriser commence par l’école » (…) Faire que « tout cet écosystème de la performance fonctionnera encore mieux ». (extrait de l’article 20 minutes)

Au delà des doutes que nous avons sur ce qui est posé comme « bienfaits » véhiculé par le sport de haut niveau, nous nous interrogeons : Le souhait des dirigeants de Paris 2024 doit-il s’imposer aux objectifs de l’école ?

Les valeurs aujourd’hui véhiculées par le sport de haut-niveau seraient avant tout à analyser, plutôt qu’à être absorbées par l’école.

Pour le Sgen-CFDT, le rôle de notre ministre devrait avant tout être de proposer une réflexion sur la place du corps à l’école.

Il s’agirait de questionner les notions de « réussite » dans la société actuelle et leurs répercussions sur l’École. Il conviendrait d’envisager les conséquences de la promotion d’une culture de la « gagne » comme modèle unique.

Il s’agirait en outre de repenser la place des expressions corporelles, artistiques et manuelles comme éléments de constructions personnelles et professionnelles. D’interroger ce qu’impliquent dans le système scolaire, le respect de l’intégrité de la personne et la recherche d’harmonie envers soi-même, autrui, et son environnement…

Le Sgen-CFDT invite à :

  • Penser le corps des enfants, adolescents et élèves, pour leur offrir à la fois des espaces et des temps et rythmes respectueux de leur personne et des groupes
  • Renforcer les apprentissages moteurs, sociaux et méthodologiques, proposés en EPS en renforçant la place et la reconnaissance de cette discipline, tout aussi « fondamentale» que les autres .
  • Donner aux écoles et établissements, au-delà des effets d’annonce, de réels moyens d’innover, de s’adapter, pour aider les équipes à répondre au mieux aux besoins de tous leurs élèves quels que soient leurs domaines de réalisation (et non d’excellence).

Alors peut-être, on pourra imaginer tendre vers les conditions d’un « élève épanoui » que souhaite de notre ministre.